Cet été-là, mes dix-sept ans, tes presque seize et nous partîmes, Corinne, la cousine intime, la quasi soeur avait l'année de plus et le permis. Nous prîmes la 104 de maman, une tente minuscule pour nous trois, pas moyen de se retourner, on y dormit mal, peu importe c'était la première fois qu'on partait ainsi, en liberté parcourir la Bretagne, liberté surveillée, étapes familiales, des gîtes assurés, la tribu idéale. Au moins quittions-nous les maisons du Croisic, au moins c'était l'auto et plus les bicyclettes, passer par Penerf, pousser jusqu'à Brest, il y eut la beauté de l'étier et l'élégant logis de la tante Marie -on ne savait pas ce qu'on sait aujourd'hui, il y eut la beauté de la maison du Relecq-Kerhuon où Linette, que nous n'avions jamais rencontré, nous attendait, elle aussi belle que sa maison, nous les enfants de ses cousins que la famille lui expédiait sans plus de façon. Linette Théréné, je retrouve son nom, une belle veuve inconsolable et gaie, le défunt peignait des marines, il y en avait plein la maison, elle y vivait avec son frère, très âgé pour un trisomique, petit Claude on le surnommait, il lisait passionné le Journal de Mickey, très fier de lire, très joyeux. Et le teckel aveugle circulait au salon. Linette , elle n'a jamais voulu qu'on plante la tente dans le jardin. On avait dormi chez elle, poussé les meubles, Corinne et toi dans une chambre, moi sur un matelas posé dans le salon. Au matin le vieux chien aveugle s'est cogné aux pieds des tables déplacées quand nous mangions au petit-déjeuner des craquelins, du miel, du beurre salé. Avions-nous remercié Linette Théréné, la cousine souriante des pères que nous avions, la veuve du peintre breton dont le nom orne le fronton de la salle omnisports du Relecq-Kerhuon? Il me semble que non, il me semble que tu aurais aimé que je répare cet oubli, que Linette ait droit au merci que méritait sa bonne grâce, sa bonté joyeuse.
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