C'est donc aujourd'hui. Mais non rien ne se boucle, et autant te le dire, parler du jour de ta mort comme d'un anniversaire m'est impossible, pas plus que je ne considère la formule convenue qu'on m'assène parfois: non je ne fais pas mon deuil. T'écrire c'est maintenir un lien vivant, les couleurs acides de l'enfance passées par le filtre des diapositives, c'est saisir à l'occasion un retour qui fait mouche, saisir ce qui me saisit dans l'air et me ramène à toi, ta façon bien particulière d'affirmer c'est n'importe quoi, ton sourire fêlé de fossettes, tes cheveux, cet épi qui blondissait l'été, la couleur indécise de tes yeux noisette un peu verte, tu demeures inscrite dans le monde sensible, j'entends par-là qu'à chaque instant le moindre coup de vent, la fleur courbée vers le talus, l'odeur du poisson frais, le soleil qui perce l'averse, le reflet d'un nuage sur une mare, les Litanies de la Vierge de Charpentier, un morceau de pain trempé dans une fondue fribourgeoise, la chair sanglante d'une pêche de vigne, la guitare de George Harrison, une toile de Veira da Silva ou un verre d'Irancy, à chaque instant, dis-je, une sensation peut surgir, se déployer, se déplier, te faire revenir, et moi reconnaissant, te reconnaissant, de t'accueillir.
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