L'été 64, je me suis cassé la clavicule à Honfleur, où maman t'attendait, on dit que sautant du banc de cocher qui se trouvait dans l'entrée, je serais tombé sur la béquille de grand'père, c'est bien possible, je ne me souviens pas, j'avais dix-huit mois. Tu n'étais pas née, tu n'allais pas tarder, tu tardais pourtant, c'était bien chiant la clavicule fracturée de l’aîné qui n'avait pas deux ans. Pour maman, il fut lourd cet été, lourd de toi, très gros bébé pas pressé de naître -quinze jours de retard, se faire désirer- lourd de son enfant plâtré à qui il fallut trouver une baby-sitter, une jeune fille au pair qui l'aille promener: déséquilibré je ne pouvais plus marcher. Je ne me souviens de rien de cet été-là, je ne me souviens pas de toi qui naquis en retard en septembre, ni de la jeune fille qui me poussa jusqu'au bois s'y faire trousser par son gars et qui m'oublia là - angoisse quand on me chercha, émotion lorsqu'on me retrouva, de colère on la congédia (on, bien-sûr, c'est le grand'père). Une autre, un peu plus tard me mena jusqu'à l'hôpital te voir, c'était le vieil hôpital de brique, de silex et de craie.Tu fus ce gros bébé dans les bras de maman et dès lors, deux nous fûmes, pour elle deux poids pour sûr, le très gros bébé pas pressé de naître, et le garçonnet boitant de l'épaule. C'est ainsi, de ce poids commun sur terre, que se dessina l'être-ensemble, la joie d'être ton frère: Que ce gros bébé me soit tout sourire, qu'il me dévoue ses premiers pas, qu'il m'appelle de ses premiers mots, la dernière syllabe de mon prénom bissée. Je te fus nécessaire, tu me l'es et tu manques.
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